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Carnet de films
24 décembre 2007

La graine et le mulet

18864548d'Abdellatif Kechiche 5/5 Le réalisateur disait récemment qu'il se satisfaisait de l'idée d'une réconciliation d'un cinéma d'auteur avec une certaine idée du cinéma populaire. Je voudrais simplement lui répondre que si le public, averti ou non, massif ou non, ne réalise pas la profondeur de cette grande oeuvre, tant pis pour lui. Abdelatif Kechiche surpasse esthétiquement son dernier film ("L'esquive") très (peut-être trop) remarqué. La pression du temps présent est capté jusqu'à la rupture dans d'interminables séquences quasi documentaires où des personnages plus vrais que nature déversent leurs répliques que sans doute aucun scénariste n'aurait pu écrire avant qu'elles ne sortent intuitivement de leur bouche (je pense notamment à cette petite jeune qui crève l'écran, dont je n'arrive pas à retrouver le nom, mais qui ne peut échapper à personne ayant vu le film). Le scénario se joue brillamment de la temporalité des événements en passant sous ellipse les moments clefs (avec cette résolution finale qui ne viendra jamais), mettant en lumière la constante et si rare part d'ambiguïté morale qui ressort au delà de toute attente. Je repense à "Rosetta" de Jean-Pierre et Luc Dardenne en sortant de cette projection.
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Commentaires
J
Une dernière petite précision : je comprends tout à fait ce que tu entends par cette subtilité trop appuyée. J'ai moi-même été un peu ennuyé par l'insistance des gros plans. Mais je n'ai pas tenu compte de ces petits détails que l'on pourrait prendre pour des lourdeurs dans d'autres formes de cinéma, parce qu'à mon avis, ils sont la nécessité de cette réussite documentaire, naturaliste (peu importe l'appellation), ils sont l'économie nécessaire. Je ne sais pas comment le film a été tourné ni écrit, mais d'après le résultat, j'y perçois une forme d'honnêteté alternative qui prime sur toute autre considération esthétique. Peut-être que je me trompe, mais j'imagine, par exemple, que le cinéaste ait pu posé plusieurs caméra en laissant tourner et laisser les comédiens parler entre eux (les laisser vivre entre eux). D'où le souvent recours au gros plan pour qu'il puisse monter les images à sa guise. Ce n'est qu'une hypothèse dont je me fiche de la plausibilité, mais qui explique ma tolérance stylistique. Quand j'ai posé une comparaison avec Rosetta, évidemment, pour moi le chef d'oeuvre des Dardenne est plus parfait dans sa mise en scène. Mais je trouve que Kechiche a su capter une humanité qui va peut-être au-delà du simple fait de prendre des acteurs non professionnels. Mais c'est une intuition assez difficile à résumer en quelques lignes.
J
Ce qui me touche dans cette longue (et quasi agaçante) scène de plainte de la jeune mère c'est justement la maladresse répétitive de son expression. Cette lourde charge dans le fond et la forme est un terrible réquisitoire contre cette famille, et l'on suppose qu'elle annonce une révolution souhaitable. On attendait depuis un bon moment une remontrance du père vis-à-vis de son fils "indigne", et bien au contraire, ce dernier agit en fuyant, alors que son mutisme était jusque là pris pour de la sagesse. C'est le courage scénaristique que je soulignais. Quant à l'actrice dont je parlais, je n'émettais qu'une intuition personnelle sans tenir compte (à mon avis) de l'exotisme social. Je ne suis pas aussi enthousiasmé par les autres (ce que je loue c'est surtout l'écriture générale), et à titre de comparaison, Sara Forestier, très médiatisée depuis l'Esquive, me sort des yeux... (mais le fait qu'elle soit blonde n'a rien à voir).
M
Hmmm, cette fois, je ne te suis que modérément dans ton enthousiasme. Evidemment, Kechiche a l'immense vertu de prendre son temps pour filmer, et d'éviter la sentence morale. Mais, d'un autre côté, il y a chez lui comme une subtilité trop appuyée (pour reprendre ta phrase de Murat) : ces plans qui n'en finissent pas de se développer, en devenant systématiques, perdent en perspicacité. Tu n'as pas trouvé finalement ennuyeuse cette scène avec la jeune mère hystérique ? Et peut-être même un peu complaisante ? Mon reproche serait un peu le même en ce qui concerne cet engouement pour le jeu des interprètes - et particulièrement celui de cette jeune fille brune que, malgré son amateurisme criant, tout le monde trouve formidable... Moi aussi je la trouve touchante. Mais je me demande pourquoi. Parce que l'intrigue se déroule parmi des prolétaires ? Et, dans ce cas, n'y aurait-il pas là comme une forme d'exotisme social, à décrire comme bouleversant le jeu d'une jeune fille qui, si elle avait été blonde et bourgeoise, et si le film avait dépeint les peines de coeur à Passy, n'aurait sans doute pas retenu notre attention ? Car je ne sais pas si ce que tu appelles le "plus vrai que nature" l'est vraiment. Peut-être le film n'est-il parfois qu'une projection de ce que nous aimerions catégoriser comme "plus vrai que nature". Et que cette catégorisation nous réconforte...
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